En 1915, dans de modestes bureaux situés au 112 de la rue Saint-Jacques (l'immeuble n'existe plus aujourd'hui, il a cédé sa place à l'édifice de la Banque nationale sur la Place d'Armes), se trouve le plus important employeur du Québec. La dizaine d’usines où travaillent sept mille personnes est éloignée, mais les banques sont toutes proches et la Dominion Textile est avant tout l’œuvre de financiers. Au-delà du fait que son président Charles.B. Gordon est aussi vice-président de la Banque de Montréal ou que son vice-président Herbert Holt est président de la Banque royale, la première raison d’être de la compagnie est financière. Les usines ont beau faire fonctionner plus de 10 000 métiers à tisser et faire rouler 464 144 bobines à filer, on a beau produire à pleine capacité et voir les ventes augmenter de 36% cette année, sur la rue Saint-Jacques, ce n’est pas du textile qu’on gère, mais de l’argent.
Depuis sa création en 1905, par la fusion de quatre entreprises importantes, la Dominion Textile supporte une capitalisation très lourde, soit plus de sept millions de dollars d’emprunts et près de sept millions de dollars d’actions. Comment assurer le paiement des intérêts aux créanciers et celui des dividendes aux actionnaires? Voilà le défi. En 1906, la solution passait par une réduction brutale des salaires et l’importante grève qui suivit était rapidement réprimée en « cassant » le syndicat. En 1910, la solution résidait dans la location, pour dix ans, de l’usine d’un concurrent important, la filature Mount Royal. En 1911, en prenant le contrôle de la Montreal Cottons à Valleyfield, on réussit à leur imposer les mêmes contraintes financières. Quand la guerre a éclaté, la solution choisie était de promouvoir des rapports étroits avec ses nouveaux clients, les gouvernements alliés. De cette étroite collaboration, résultera la nomination de Charles Gordon à la vice-présidence de l’Imperial Munitions Board, dès sa création en 1916. Responsable de l’ensemble des achats des forces armées britanniques, ce conseil sera, durant sa courte existence, la plus importante entreprise de l’empire.
Après la guerre, la Dominion Textile quittera le Vieux-Montréal pour un nouveau siège social sur le côté ouest de la place Victoria. Au cours des années 1930, ses pratiques antisyndicales, liées à ses visées monopolistes, obligeront le gouvernement fédéral à constituer une commission royale d’enquête, la commission Turgeon. La compagnie restera le plus important fabricant de textile au Québec jusqu’aux années 1960. En 1998, des courtiers new-yorkais achèteront la compagnie afin de vendre ses usines de denim à des entreprises de textiles américaines après quoi ils fermeront la Dominion Textile. Née pour servir des intérêts financiers, elle mourra au nom du même objectif.
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