Pour les Frères hospitaliers de la Croix et de Saint-Joseph ou frères Charon, 1725 constitue une année charnière. Bien que leur institution charitable de la pointe à Callière ait été fondé afin de soulager les plus démunis de la société, depuis quelques années c'est l'enseignement qui a préséance sur les autres œuvres de la communauté. Leur supérieur, Louis Turc de Castelveyre, ou frère Chrétien, qui a accédé à ce poste en 1719 après le décès du fondateur de la communauté François Charon de La Barre, est alors en France où il s'endette afin de fonder une école normale à La Rochelle. L'année auparavant, en 1724, les frères Charon avaient approuvé ce projet qui aurait ainsi fourni des enseignants, dont il y avait un grand besoin dans la colonie. Mais depuis quelques années déjà on s'interroge sur les capacités administratives de Castelveyre. Selon une évaluation du gouverneur Vaudreuil et de l'intendant Bégon en 1721, il « paraît avoir beaucoup de vertu mais peu au fait du gouvernement de cette maison [Hôpital Général de Montréal] dont aucun des frères n'est capable ». Ces doutes seront confirmés en 1725 quand le projet de l'école normale s'effondre et que Castelveyre doit se réfugier à l'île de Saint-Domingue à l'abri de ses créanciers. Pire encore, il a employé les subventions annuelles du Roi - destinées à l'éducation des enfants à Montréal et aux paroisses rurales - pour régler ses propres dettes.
L'œuvre des frères Charon a commencé de manière prometteuse en 1688. Cette année-là, François Charon de la Barre, qui s'était détourné d'une prospère carrière dans le commerce, s'était fait accorder un grand terrain sur la pointe à Callière à l'extérieur des palissades de la ville. Là il faisait construire, entre 1693 et 1697, le noyau central d'un hôpital de charité - la résidence, hospice et chapelle - suivi par d'autres immeubles qui abriteraient les manufactures qu'il cherchait à établir : brasserie, petite manufacture de bas, moulin à vent et pressoir à cidre. Bien que le Roi ait reconnu l'œuvre de l'hôpital en lui accordant des lettres patentes en 1694, Charon ne réussit jamais à obtenir de lui la reconnaissance de sa communauté religieuse. La communauté d’hommes pieux et charitables existait néanmoins dès les années 1690. Les Frères hospitaliers de la Croix et de Saint-Joseph fonctionnaient bel et bien en communauté religieuse avant d’obtenir enfin, en 1723, une pleine reconnaissance épiscopale, malgré l’absence de sanction royale. Mais déjà en 1725, tout semble mal tourner.
En 1728, Castelveyre sera arrêté et renvoyé en Nouvelle-France. À peine deux mois après son arrivée les Frères Charon le destitueront de son poste de supérieur de leur communauté. Castelveyre les poursuivra afin de régler ses dettes. En 1735, une fois toutes les poursuites réglées, les frères seront endettés envers leur ancien supérieur et sans ressources financières, le Roi ayant arrêté sa subvention en 1731 à cause du manque de maîtres d'écoles. De plus, cette année-là l'évêque interdira aux Frères Charon de recruter de nouveaux membres. Endettés et sans nouvelles ressources humaines et financières, la communauté périclitera. En 1747, lors de la prise de possession de l'Hôpital Général par les Sœurs Grises, il ne restera que trois frères octogénaires en résidence. |