En 1849, à l’âge de soixante-quatorze ans, Denis-Benjamin Viger connaît bien la vie tumultueuse de la politique, ayant été au centre des grands débats et mouvements politiques qui ont marqué la première moitié du XIXe siècle. Conseiller législatif depuis 1848, Viger intervient une dernière fois au Conseil le 15 mars 1849 pour se prononcer en défaveur du projet de loi pour l’indemnisation des gens qui ont subi des pertes lors des Rébellions. L’incendie du parlement et les contestations dans la rue qui suivirent l’adoption de cette loi influencent probablement le retrait de Viger de la vie politique. Avec son épouse Marie-Amable Foretier, il habite une maison en pierre de deux étages sur la rue Notre-Dame, à quelques pas du Hayes’ Hotel and Assembly Rooms, le siège temporaire du parlement au cours du mois de mai. L’été venu, Viger et sa conjointe se sont peut-être retirés à leur manoir de l’île Bizard pour s’éloigner des manifestations violentes qui se poursuivent en ville malgré la fin de la session parlementaire.
Né à Montréal en 1774, Denis-Benjamin était le fils de Denis Viger, un menuisier devenu marchand fabricant de potasse et député. Par son père, il était le cousin de Louis-Michel Viger, avocat, seigneur de Saint-Ours, fondateur de la Banque du peuple; de Bonaventure Viger, grand patriote; et de Jacques Viger, inspecteur des chemins, collectionneur, journaliste, arpenteur et premier maire de Montréal. Par sa mère Charlotte-Perrine Cherrier, fille du marchand et notaire François Cherrier de Saint-Denis-sur-Richelieu, il était le cousin de Louis-Joseph Papineau, avocat, seigneur de la Petite-Nation, politicien et chef des patriotes; de Denis-Benjamin Papineau, seigneur, fonctionnaire et politicien; de Jean-Jacques Lartigue, premier évêque de Montréal; et de Côme-Séraphin Cherrier, avocat et député.
Après avoir complété ses études au collège de Montréal, Denis-Benjamin Viger poursuivit sa formation en droit. Entre 1794 et 1799, il devint le clerc de Louis-Charles Foucher, solliciteur général de la province dès 1795 et son futur beau-frère, puis de Joseph Bédard, frère de Pierre-Stanislas Bédard, député et futur chef du Parti canadien, et enfin de Jean-Antoine Panet, premier président de la Chambre d’assemblée. Viger fut reçu au barreau en 1799.
À propos de sa carrière d’avocat, un biographe disait qu’il était « un jeune avocat sérieux, intellectuel, idéaliste, timide et qu’on juge souvent ennuyant et maladroit ». De ses années de formation, Viger a surtout acquis le goût du droit constitutionnel, des idées et une passion pour la politique. Il admirait les institutions britanniques et s’opposait à une annexion aux États-Unis. Dès 1792, il écrivait des articles qu’il publiait dans des journaux nationalistes auxquels il contribuait aussi financièrement. À ce titre, il favorisa l’établissement du journal La Minerve par Ludger Duvernay en 1827 dont le local était situé dans une de ses maisons rue Saint-Paul à l’ouest du Marché neuf (place Jacques-Cartier).
Viger fut élu député du quartier Ouest de Montréal en 1808. Il adhéra au Parti canadien pour lequel il participa à la définition idéologique du programme. Gravitant dans le cercle des leaders du parti, il ne prit jamais les commandes; face à Louis-Joseph Papineau, il manquait de couleurs. En 1828, il fut délégué à Londres pour transmettre les griefs des Canadiens contre le gouverneur Dalhousie. Alors qu’en 1831 il était nommé membre du Conseil législatif, l’Assemblée en fit de nouveau son agent à Londres pour défendre les idées du parti devenu le Parti patriote. De retour en 1834, Viger demeura de toutes les luttes. Il fut l’un des fondateurs de la Banque du peuple, institution créée pour faire contrepoids à la Banque de Montréal et fournir les capitaux nécessaires au développement des activités économiques canadiennes-françaises. Il participa aussi à la fondation de l’Union patriotique, association réclamant notamment l’adoption du gouvernement responsable. Il fut président de la Société Saint-Jean-Baptiste entre 1835 et 1837. Cette année-là, il participa à la logistique des assemblées patriotiques sans en devenir une tête d’affiche. Après les Rébellions, il fut tout de même emprisonné du 18 novembre 1838 jusqu’en mai 1840.
Son séjour en prison ne l’arrêta pas et, dès 1840, il critiquait ouvertement dans le journal L’Aurore des Canadas le Conseil spécial et l’Acte d’union. Aux élections de 1841, s’alliant aux réformistes et aux opposants de l’Union, il fut élu député dans le comté de Richelieu. Toutefois, contre toute attente, en décembre 1843, Viger accepta la proposition du gouverneur Metcalfe de constituer un ministère avec William H. Draper. Ce choix de Viger fut perçu par ses anciens alliés comme une trahison de la cause nationaliste. Il eut conséquemment des difficultés à s’entourer d’une équipe compétente. Son parti devint minoritaire aux élections de 1844. Il donna finalement sa démission en juin 1846.
En 1808, Denis-Benjamin Viger avait épousé Marie-Amable Foretier, fille de Pierre Foretier, marchand de fourrures, fonctionnaire et un important propriétaire foncier. Le couple n’aura durant sa vie commune, qui dura 46 ans, qu’une seule fille qui mourra en bas âge. Marie-Amable Foretier dû s'accoutumer aux fréquentes absences de son mari, même au tout début de leur mariage. Dans une chanson de l’époque se glissaient d‘ailleurs les mots « Viger jeune mari, absent de son épouse ». Seule à Montréal, Marie-Amable se chargea de l'administration de leurs biens immobiliers et contribua à de nombreuses oeuvres de charité – elle fut entre autres une fondatrice de l’Institution pour les filles repenties et présidente de 1841 à 1854 de l’Orphelinat catholique de Montréal. Grâce à une généreuse donation de terrain, elle permit l'établissement des Soeurs du Bon-Pasteur à l'angle de la rue Sherbrooke et Saint-Laurent.
Denis-Benjamin Viger décèdera en 1861, six ans après la mort de son épouse. La fortune considérable qu’il aura accumulée et léguée à son cousin, Côme-Séraphin Cherrier, demeure en grande partie attribuable à des héritages. Il avait acquis au décès de ses parents et de sa soeur quatorze maisons à Montréal et 47 arpents de terre au faubourg Saint-Louis. Par la succession de son beau-père, il avait obtenu la propriété de l’île Bizard. Ces assises foncières lui assuraient de bons revenus, particulièrement après qu'il ait donné un terrain pour l'établissement de l'église et de la résidence de son cousin, l'évêque Jean-Jacques Lartigue. Son imposante bibliothèque de plus de 3 000 ouvrages a été léguée au séminaire de Saint-Hyacinthe. |