Durant une courte période pendant les années 1720, l'union You-Dufrost relie deux vies d'une dissimilitude étonnante, un marchand dissipé et une fondatrice de communauté religieuse. En 1725 François-Madeleine You de Ladécouverte et d'Youville et Marie-Marguerite Dufrost de Lajemmerais (Marguerite d'Youville) sont mariés depuis 1722 et résident dans la maison de Madeleine Just, mère d'You, sur la place du Marché (place Royale actuelle). Depuis quelques années, You est fermier du gouverneur Philippe de Rigaud de Vaudreuil et, entre mai et octobre de chaque année, il est responsable d'un comptoir de traite à l'Île-aux-Tourtes dans la seigneurie Vaudreuil, au confluent du Saint-Laurent et de la rivière des Outaouais. Comme son père avant lui, mais à l'encontre des règlements, You vend de l'eau-de-vie aux amérindiens. Il dispose d'un sergent et de six soldats pour intercepter les flotilles de canots et les forcer à traiter à son comptoir de l'île plutôt qu'à Montréal.
Bien que les marchands montréalais se plaignent de lui, You ne modifie en rien son comportement d'autant plus qu'il bénéficie de la protection du gouverneur. La mort de ce dernier à la fin de 1725, marquera la fin des abus d'You qui, par la suite, choisira la vie de marchand-voyageur. Durant les années 1728 et 1729, il expédiera des canots au pays d'en haut, mais sa carrière s'arrêtera subitement en 1730 avec sa mort prématurée à l'âge de 30 ans.
Jeune veuve ayant la charge de deux fils (elle est enceinte d'un autre enfant qui décédera cinq mois après sa naissance en février 1731), Marie-Marguerite devra renoncer à la succession endettée de son mari. On lui adjugera toutefois, par bail judiciaire, la maison qu'elle habite où elle tiendra un commerce pendant plusieurs années. Mais à partir de 1727 elle accordera une place de plus en plus prépondérante à la pratique de la religion. Pendant la période de 1730 à 1737 elle s'occupera de bonnes œuvres et veillera à l'éducation de ses fils, lesquels entreront au séminaire de Québec. Avec l'encouragement du sulpicien Louis Normant, son directeur spirituel, elle se consacrera au service des pauvres, activité qui aboutira, le 31 décembre 1737, en la création d'une association de femmes qui partagaient ses objectifs.
La première décennie s'avérera très difficile pour la petite communauté : la population montréalaise se méfiera de ces femmes; entre 1738 et 1744, Madame d'Youville, affligée d'un mal à un genou, devra garder la chambre et en 1745 un incendie détruira leur maison, (située depuis 1737 sur le côté nord de la rue Notre-Dame proche de la rue Saint-Pierre). Mais en 1747, ayant démontré sa force de caractère, Marguerite d'Youville assumera la charge provisoire de l'Hôpital Général sur la pointe à Callière, un ensemble institutionnel fort délabré à la suite de la faillite de ses premiers occupants, les Frères Charon. En 1750, l'intendant Bigot ordonnera l'union de l'Hôpital Général de Montréal à celui de Québec, mais avec l'appui des élites montréalaises et de la population locale et en promettant de payer les dettes des Frères Charon, Madame d'Youville gagnera sa cause. En 1753, le roi accordera des lettres patentes qui reconnaîtront l'existence légale de la communauté - elle prendra le nom de Sœurs de la Charité de l'Hôpital Général, ou Sœurs Grises - et la chargera de l'administration de l'Hôpital Général. |