La turbulente année 1849 se termine avec une poursuite pour libelle diffamatoire déposée par Louis-Antoine Dessaules, neveu de Louis-Joseph Papineau, contre Ludger Duvernay, rédacteur de La Minerve. Ce dernier a mené une campagne d'opposition contre l'Institut canadien et a accusé Dessaules de parjure et d'athéisme. Dessaulles gagne sa cause, mais le litige, débattu devant plus de 500 personnes, démontre bien les tensions existant au sein du Parti réformiste après la défaite des Patriotes et l'union du Canada en 1841. Depuis son retour d'exil en 1842, et le rétablissement de son journal, Duvernay appuyait la politique de Louis-Hyppolite LaFontaine, favorisant un accommodement avec le nouveau régime politique et la reconnaissance du gouvernement responsable. Cette prise de position a entraîné une rupture entre Duvernay et les anciens dirigeants des Patriotes, notamment avec Papineau et Denis-Benjamin Viger. Mais avec ce dernier, Duvernay continue d'entretenir des rapports courtois. Il n'oublie pas que c'était grâce au soutien financier de Viger et du libraire Édouard-Raymond Fabre qu'il avait trouvé les moyens de redémarrer les activités de son imprimerie.
Après son retour en ville, Duvernay s'installe sur la rue Saint-Vincent : la résidence familiale, l'imprimerie et le bureau de rédaction de La Minerve se trouvent dans un immeuble appartenant à Sir James Stuart, dont le vestige est intégré à l'actuel 110 rue Sainte-Thérèse. En 1849, la rue Saint-Vincent, avec ses librairies et imprimeries et de nombreux cabinets d'avocats dans le voisinage immédiat, tient lieu de centre intellectuel à la communauté francophone. En tant que porte-parole du Parti réformiste, La Minerve figure au centre des grands débats du jour, mais le soutien des Réformistes ne rapporte pas que des avantages. D'une part Duvernay obtient des contrats de publicité gouvernementale lui permettant de moderniser son imprimerie, mais d'autre part, il doit s'incliner devant les pressions de ses bienfaiteurs et répudier le mouvement annexionniste.
Duvernay était natif de Trois-Rivières où, en 1817, il se lançait en affaires comme imprimeur et éditeur. Mais le marché trifluvien était peu propice au succès, et en 1826, un an après son mariage, il se déplaçait vers Montréal avec son épouse, Marie-Reine Harnois. En janvier suivant, il achetait La Minerve, le journal fondé par Augustin-Norbert Morin afin de soutenir les intérêts et les droits des Canadiens français. À l'origine l'entreprise et la résidence de Duvernay se trouvaient sur la rue Saint-Jean-Baptiste, mais en 1829 il achetait l'imprimerie de James Lane et s'installait dans une maison appartenant à Denis-Benjamin Viger, l'actuel 161-163 rue Saint-Paul Est. Pendant les huit années suivantes, il s'imposa comme le plus important imprimeur de livres et de brochures à Montréal, mais sa renommée durant cette époque reposait surtout sur ses activités politiques.
La prise de contrôle de La Minerve par Duvernay coïncidait avec la création du Parti patriote dirigé par Louis-Joseph Papineau. Le journal en devint le porte-parole. Si, pendant ses premières années à Montréal, Duvernay prêchait toujours la loyauté à la Couronne britannique, certains événements suscitèrent en lui une nouvelle réflexion. Ces idées se radicalisèrent à la suite des mouvements révolutionnaires et indépendantistes d'Europe, de la répression militaire des partisans patriotes lors de l'élection de 1832 et de la publication des « 92 résolutions » par les Patriotes en 1834. À la "Une" de son journal, ses lecteurs pouvaient lire les comptes rendus des débats à l'Assemblée et connaître les sujets qui divisaient les Patriotes et l'administration coloniale. En mai 1837 il était élu député du comté de Lachenaie à l'Assemblée, mais sa carrière de politicien fut brève, la Rébellion de 1837 y mettant rapidement un terme. Officier d'un petit bataillon de Patriotes, Duvernay a participé à une bataille en décembre 1837 et dut fuir le pays par la suite.
Pendant cinq ans il demeura en exil au Vermont où il tenta de fonder un journal destiné à la communauté canadienne en exil. Durant son absence, sa famille se réfugia au village natal de sa femme, aujourd'hui Louiseville, tandis que son imprimerie à Montréal était la cible de pilleurs. Faute de ressources, Duvernay dut demander à ses agents de poursuivre d'anciens débiteurs de La Minerve.
Après les ennuis de 1849 Duvernay poursuivra la gestion de La Minerve jusqu'à son décès le 28 novembre 1852. Il laissera deux legs importants à la communauté francophone. D'une part, son journal paraîtra jusqu'à la toute fin du XIXe siècle, son orientation politique changera cependant et, à partir de 1854 il deviendra l'organe du Parti conservateur de Cartier et de Macdonald. D'autre part, sa fierté nationale était vive et grâce à ses efforts, des banquets annuels marquèrent la fête de la Saint-Jean-Baptiste dont il avait fait la fête nationale des Canadiens entre 1834 et 1837. Il chercha toujours à faire la promotion d'un sentiment d'appartenance nationale qui puisse s'élever au-dessus des débats politiques. C'est avec cet objectif qu'à la suite de son retour en ville après les rébellions, il a fondé la Société Saint-Jean-Baptiste, société qui existe toujours depuis 1843. |